26/11/2018
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Le Témoignage de Sissi

Sissi


Le 15 février 2000
,
Un jour comme les autres, ma maman était chez elle, elle faisait de l'ordinateur et attendait que mon petit frère Valentin rentre du collège. C'est alors qu'elle a connu sa première crise d'épilepsie. Alarmé devant la violence de cette crise et étonné Valentin a appelé nos grands-parents pour les prévenir ainsi que le médecin. Elle a été hospitalisée à Chambéry et passé de nombreux examens. Le scanner a montré une tache au cerveau, on lui a ensuite demandé de passer un IRM. Celui-ci fut fixé au CHU de Grenoble pour courant mai. En attendant, elle a commencé à prendre un anti-épileptique (le Neurontin 400mg 3/j). Cet IRM qui était le premier est celui qui a changé notre vie à tout jamais en ce mois de mai 2000. Nous avions rendez-vous avec un neurochirurgien, le Dr Chabardes afin de connaître le résultat de l'IRM : il y avait une lésion au lobe frontal droit qui était selon lui opérable ; Son discours n'était pas du tout alarmiste et nous sommes partis assez rassurés pensant que finalement cette lésion était assez bénigne.
Nous étions à cette époque totalement ignorants de ce genre de choses, n'ayant jamais connu de problème de santé et encore moins de problèmes de cerveau.
J'insiste pour dire que les médecins n'ont jamais dit clairement :"vous avez un cancer grave et le pronostic est très mauvais.", ils sont surtout très "muets" sur cette maladie et c'était vraiment à nous de chercher les informations afin de découvrir de quoi il s'agissait clairement.
Nous étions donc mi-mai 2000 et ma petite maman allait très bien, elle n'apparaissait pas vraiment malade et sa vie nous semblait comme avant. Début juin 2000, elle a fait une seconde crise d'épilepsie, elle est devenu soudainement très faible, ne pouvant quitter son lit. Elle est ainsi resté alitée, les volets clos, sans manger de toute la journée, se plaignant de violents maux de tête. Nous avons alors averti le service de neurochirurgie de Grenoble qui a décidé de l'hospitaliser afin de procéder à l'intervention chirurgicale. Elle subira avec succès l'exérèse de sa lésion tumorale. Au bout de quatre jours elle est sortie de l'hôpital en pleine santé. Elle a reprit sa vie, sans cheveux certes, mais tout à fait comme avant. Les fragments prélevés lors de l'opération ont été envoyés en anatomopathologie afin de déterminer si la tumeur était maligne. Nous attendions donc le résultat. Hélas les cellules étaient cancéreuses, c'était un oligo dendrogliome type III qui évoluera ensuite rapidement en glioblastome de type IV. En juillet, elle a commencé son protocole de chimiothérapie dans le service du Dr Berger qui est aussi biologiste à L'INSERN, spécialiste en neuro-oncologie. Elle aura en tout 11 cures de chimiothérapie BCNU seulement jusqu'en mai 2001, en cures d'une séance par semaine pendant 3 semaines, puis arrêt pendant 2 semaines et reprise. Son traitement est à présent : Chimiothérapie, Neurontin 400 et Rivodril. La chimiothérapie sera assez dure pour elle, ses effets secondaires seront une très grosse fatigue, une grande perte de poids (-19 kilos), de violents maux de ventre et des nausées. Lorsqu'elle ne souffrait pas de la chimio, elle avait une vie presque normale. Elle continuait ses activités comme avant, ses cheveux commençaient à repousser et elle ne les reperdra plus pendant toute la maladie. Sa chimio ne sera jamais interrompue car tous ses bilans sanguins et son taux de plaquettes étaient bons. Plus d'un an après, en mai 2001 elle passe un autre IRM et celui-ci est bon, le Dr Berger décide alors d'arrêter le traitement de chimiothérapie. Il était satisfait et nous a fixé un rendez-vous de contrôle seulement 4 mois après en septembre 2001. Elle a continué seulement la prise des anti-épileptique, le Neurontin 400.
Elle a passé un très bon début d'été 2001 , elle allait se baigner, et faisait un peu de vélo ainsi qu'un peu de musculation afin de retrouver les muscles fondus à cause de l'amaigrissement, elle a repris du poids petit à petit.
Nous étions contents et rassurés malgré la gravité annoncée de sa maladie, tout allait bien à présent, elle semblait "guérie", l'année 2000 écoulée n'apparaissait plus que comme un mauvais souvenir et finalement les effets horribles de la chimio n'avaient pas été vains.
Mi-août 2001, elle a fait une mini crise d'épilepsie, elle était à nouveau très faible, elle restait couchée dans le noir, ne mangeant presque pas.
L'IRM prévu pour septembre fut donc avancé. Le docteur a semblé surpris de ce mauvais résultat, la tumeur était récurrente et cette fois-ci elle était inopérable. Ma maman était bien sur désespérée et elle a refusé de recommencer le traitement de chimiothérapie qu'elle trouvait trop dur. Le docteur lui a alors prescrit un nouveau médicament, le Témodar. Son traitement sera le suivant : une première cure de 5 jours à 150 mg/jour soit 650 mg puis au bout de 28 jours on recommence avec 350 mg / jour pendant 5 jours soit 1750mg. Elle prenait aussi du Zofren un antiémétique avant le Témodar pour éviter les nausées puis de la cortisone (Médrol 16). Cette première cure s'est bien passé elle n'a souffert d'aucun effet secondaire sauf la constipation qui deviendra au fil de la progression de la maladie de plus en plus difficile.
Je tiens aussi à dire que tout au long de sa maladie elle prendra un tas de médicaments différents pour les différentes maladies ou affections qu'elle a développé en plus et dû à son cancer.
Elle a commencé à gonfler un peu à cause de la cortisone, cela changeait de sa maigreur mais elle se sentait bien moralement. Physiquement, elle était très faible et avait une certaine difficulté à monter les escaliers ou marcher pendant longtemps, le bruit la dérangeait énormément et son bras droit était souvent tremblant. Elle a commencé àse plaindre de maux de tète, le docteur lui a alors prescrit de la morphine en comprimés à faible dose (Skénan 10 mg), elle gardera ce dosage jusqu'à la fin. Elle a mené ainsi sa vie jusqu'au 1er novembre 2001 où pour la première fois elle ne s'est pas réveillée, elle était dans un léger coma, nous avons du l'hospitaliser. Elle s'est réveillée au bout de 8 heures n'ayant aucun souvenir de cet incident.
Elle est rentrée ensuite à la maison et s'est installée chez mes grands-parents, elle n'osait plus être seule chez elle, ce coma l'avait beaucoup éprouvée. Quatre jours plus tard, à nouveau elle ne s'est pas réveillée une seconde fois, elle est retournée à l'hôpital en neurologie jusqu'à son réveil.
Les comas étaient assez atypiques (c'est en fait des crises d'épilepsie sous forme de comas). Les doses de Neurontin ont été augmentées afin d'éviter ces comas à répétition. Il n'y aura plus de récidive des crises avec cette augmentation du Neurontin
Le dernier coma du 5 novembre 2001 annonçait cependant le début du déclin physique, de la perte d'indépendance, de la progression inéluctable de la maladie nous préparant ainsi petit à petit vers le chemin de la mort. Puis elle a développé un zona vers la mi novembre qui l'a beaucoup fatiguée. Elle a suivi un traitement pendant 15 jours, elle souffrait aussi d'une très forte constipation.
Son état s'affaiblissait de jours en jours, elle commençait à avoir des lésions violettes sur les mains, les bras, les cuisses à cause de la diminution du taux de plaquettes.
Il y avait quand même des bons jours où nous pouvions sortir, aller nous promener, aller au cinéma. Même si ces activités la fatiguaient énormément, elle tenait à vivre comme quelqu'un de non-malade et refusait de se laisser abattre, elle n'avait pas voulu utiliser un fauteuil roulant car pour elle cela était un pas de plus vers la dégradation physique. Chaque fois qu'elle le pouvait nous arrivions à faire quelque chose, même si c'était devenu difficile de marcher, nous essayions toujours de l'emmener là où elle le voulait, c'était important pour nous de lui faire plaisir. C'étaient des jours heureux où l'espoir d'une vie plus longue nous effleurait l'esprit, où l'on se mettait à faire des projets, où l'on croyait à un miracle et puis il y avait les mauvais jours, où le doute, la colère et la tristesse étaient nos seules émotions.
Elle perdait souvent l'équilibre et faisait des chutes, elle vivait avec cette peur constante de tomber et d'être seule, elle ne voulait jamais être seule, cela l'effrayait. Elle tremblait aussi beaucoup et perdait un petit peu de ses repères (argent, jour, date, mémoire .....).
A partir du 20 décembre 2001, elle ne pouvait plus sortir dehors et était incapable d'aller nulle part. Elle passait pourtant ses week-end chez moi et cela lui faisait du bien de changer de maison, nous louions des films spécialement pour elle mais qu'elle ne regardait jamais car il lui était devenu impossible de veiller après 20 heures, et depuis quelques temps elle passait ses journées sur le canapé ou sur une chaise. Elle a eu assez de forces pour que je l'emmène faire ses courses de Noël, elle voulait nous acheter des cadeaux qui "restent", elle savait qu'elle n'aurait pas d'autre Noël. Nous avons passé un merveilleux Noël, empli d'amour et de chaleur, nous étions tous heureux. C'était magique.
Le 29 décembre 2001 elle a subi un IRM afin de vérifier la réponse de la tumeur soignée avec le Temodar.
Hélas l'IRM était apparemment catastrophique, le Temodar n'agissait guère.
Le professeur a décidé de suspendre le Temodar, les plaquettes étant en nombre insuffisant.
A partir de ce moment là, nous savions que la fin était proche et qu'il n'y avait plus rien à faire. Les kystes entourant la tumeur s'étaient liquéfiés, le docteur a proposé de drainer l'eau entourant la tumeur afin d'améliorer le confort physique et les symptômes de ma maman et aussi pour lui permettre de gagner un peu de temps.
Le temps surtout pour les équipes médicales de se concerter et d'organiser cette intervention compte tenu de l'état de santé de ma maman qui avait fortement chuté et nous avons refusé cette intervention. C'était trop dangereux vu son état de faiblesse, nous ne voulions pas prendre le risque de lui faire subir cet acte, nous savions que de toute façon, cela ne l'aurait pas guérie. Nous ne voulions pas la perdre ainsi. Elle était à présent diabétique, et a commencéun traitement par comprimé ; celui-ci n'étant pas assez efficace nous sommes passés à des piqûres d'insuline, il aurait été absurde de la perdre à cause d'un coma diabétique. Le souhait de ma maman était de ne pas nous quitter sans nous dire au revoir, ses 2 précédents comas l'avaient effrayé en ce sens, elle avait peur de partir ainsi, elle voulait être là jusqu'au bout. Elle ne voulait pas, ne pas "vivre" sa mort, elle pensait qu'elle n'avait pas donné 2 ans de combat pour partir dans un coma.
Ses deux dernières semaines de vies ont été éprouvantes pour nous qui nous occupions d'elle et qui constations cette horrible dégradation de la santé. Par respect pour ma maman je ne vais pas raconter les détails de sa condition physique, elle n'aurait pas aimé que je la décrive en ces termes. C'était vraiment très dur de la voir ainsi, elle était tellement fragile, nous avons donné le maximum d'amour et de confort pendant ses deux dernières semaines.Elle ne mangeait désormais presque plus, mais avait des envies soudaines de certains plats, son goût avait changé, tout était trop salé ou sucré, elle buvait énormément.
Bien qu'elle soit très malade, c'était étonnant avec un cerveau si abîmé d'avoir gardé jusqu'à son dernier jour toute sa lucidité, son intelligence, son raisonnement, ses capacités mentales et intellectuelles. Nous avions des conversations sur l'actualité, sur la vie (les personnes mourantes disent des choses pleines de sens et de leçons, il faut savoir saisir leur messages), nous parlions de tout. Elle câlinait beaucoup mes enfants et essayait de les prendre dans ses bras. Elle essayait pour mon frère de 13 ans de se montrer encore comme une maman dont le rôle parental existe toujours. Les réveils chaque matin étaient difficiles, elle avait un escarre qui la faisait beaucoup souffrir, elle délirait un peu et avait quelques hallucinations, elle avait du mal à "émerger." Elle était aussi confuse sur le jour, et était toujours persuadée qu'elle partait pour le CHU afin de subir son intervention (je pense qu'elle s'accrochait à ce projet comme un dernier espoir), puis plus la journée avançait, mieux elle allait.
Son dernier samedi a été celui de la chandeleur, elle voulait absolument qu'on la fête, je suis allée acheter des godets et des pichets à cidre que je lui ai offert, elle était si heureuse de cette petite soirée. On a beaucoup ri. J'avais pu même lui donner un bain le matin et elle se sentait fraîche et bien. Le dimanche fut une journée très difficile, elle est restée au lit jusqu'à 18 heures ce qui était inhabituel car elle n'aimait pas rester au lit toute la journée, mais elle était vraiment faible et n'a rien mangé ce jour là. En allant la recoucher et lui souhaiter une bonne nuit, j'ai eu la curieuse intuition qu'elle ne se relèverai jamais de son lit. Cette nuit-là elle a commencéà respirer rapidement et bruyamment. Le lendemain, lundi, le médecin traitant qui venait 2 fois par jour, nous a informé qu'il fallait à présent l'accompagner jusqu'à son départ, il savait que nous ne voulions en aucun cas qu'elle soit hospitalisée.
Elle ne s'est pas levé de toute la journée, n'a rien mangé. Elle a bu et nous parlait tout à fait normalement, nous disant des choses tout à fait normales. Elle exprimait aussi sa peur.
Elle n'a pas pris ses cachets ne pouvant rien avaler. Le lendemain, le mardi elle s'est enfoncée encore un peu plus vers la mort. Elle ne bougeait presque plus, elle ne voulait pas non plus qu'on la déplace dans le lit, cela lui faisait trop mal. Ce jour-là c'était mon anniversaire, du mieux qu'elle le pouvait, elle me l'a souhaité, elle parlait très difficilement et avec une respiration rapide… Elle était très présente avec nous et essayait de maintenir une conversation et puis par courts moments elle semblait ailleurs, comme si elle regardait et parlait avec quelqu'un.
Nous lui avons donné ses cachets sous forme liquide et le médecin lui a fait une piqûre de morphine vers 18 heures. Juste avant sa piqûre elle a fixé mon frère et moi d'un regard extrêmement intense et soutenu, comme si elle inscrivait nos visages dans sa tète, elle nous a fixé ainsi pendant de longues minutes, ses yeux semblaient nous dire:"vous restez avec moi, je vous aime, au revoir" puis elle a réussi à nous dire" je vous adore" et nous a envoyé un mimis avec sa bouche. J'ai décidé de passer la nuit à ses cotes dans son lit, elle s'est endormie et a commencé une sorte de ronflement, une respiration très bruyante, comme un râle, je pensais qu'avec ce bruit je n'allais jamais pouvoir dormir, je n'ai jamais aussi bien dormi ! alors que, depuis des semaines nous passions des nuits d'angoisse et de tristesse, cette nuit-là tout le monde a dormi profondément, comme des bienheureux. Je me suis réveillée vers 5h30, elle dormait toujours, je lui ai remis des couvertures car elle avait froid, elle n'avait pas bougé, puis je me suis rendormie pour me réveiller une seconde fois vers 6h45. J'ai vu que ma tante était à mes cotes, nous avons parlé un peu puis regardé ma maman dormir, soudain elle a ouvert les yeux, s'est tournée un peu vers moi, a esquivé un petit sourire et a pris deux grandes inspirations et elle est partie ainsi. C'était si rapide, si calme, si paisible, on aurait dit qu'elle s'était simplement rendormie. A cet instant malgré l'atrocité de la maladie et des ses conséquences, sa mort était tellement belle, douce que j'en étais heureuse.
Le médecin est arrivé pour constater avec nous que sa mort ne lui avait été pas volée qu'elle avait eu son souhait. Après les soins de conservations, je suis allée la trouver, elle était si belle, si paisible, toutes les souffrances que son visage portait avaient disparu, son visage était si lisse, si calme.
Je la remercie aujourd'hui de nous avoir quittée ce matin du 6 février 2002 et d'avoir peut être attendu que le 5 février passe afin que mon anniversaire ne soit pas synonyme de son départ. Cette nuit-là avant de m'endormir je l'avais regardée et je lui avait dit doucement que maintenant elle pouvait mourir, qu'elle n'aurait pas aimé se voir ainsi, que tout serait bien pour elle à présent et que le temps était venu pour elle de nous quitter.
Sissi

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