GFME souvenirs 12/11/2020
Musique : Concerto de la Mer

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Gérard

Papa,
Tu as affronté cette maladie avec un courage et une force incroyable. Dès le premier diagnostic, tu as regardé la réalité en face et tu t’es donné les moyens de lutter contre ce destin. Ton esprit cartésien ne t’a jamais quitté. J’ai pu t’observer au quotidien pendant ces quatre mois et admirer tes capacités physiques et morales. Ton combat a été de tous les instants. Tu aurais mérité un peu plus de chance. J’aimerais crier aujourd’hui à la terre entière notre vie de famille, notre bonheur, depuis mon enfance. Je ne le ferai pas car il me faudrait trop de temps. Mais, je voudrais juste rappeler ton rôle de père. Tu as été un père très proche, très protecteur, pour qui l’amour n’avait pas de limite. Ton travail, tu l’aimais mais la vie de famille, c’était primordial. Tu nous as élevé avec beaucoup de tendresse et nous t’en remercions. Pour toutes ces raisons, je souhaite évoquer ton combat sur ce site qui permet aux gens de mieux comprendre cette horrible maladie et aussi te rendre « inoubliable et éternel ». Nat.

Souvenir de mon père chéri :

Mi-janvier 2006, Gérard BRUNO, 61 ans, technicien retraité de l’INRA, trébuche et tombe à plusieurs reprises chez lui, sans raison apparente. Au printemps 2005, il avait déjà consulté un neurologue car son bras gauche avait tendance à se paralyser. Ce dernier avait conclu à un petit problème de canal carpien et les recherches n’avaient pas été plus approfondies. Gérard est marié avec Marité depuis 1968. Il est le père de deux enfants, Nathalie, 36 ans et Jean-Michel, 35 ans. Il vit à Boirargues, petit village autour de Montpellier dans une maison qu’il a construite et s’occupe très souvent de ses petites filles, Mélanie, Laetitia et Elsa. En deux ou trois jours, Gérard ne maitrise plus sa jambe gauche et comprend que c’est anormal. Il consulte alors son généraliste qu’il lui ordonne un scanner de la tête et une consultation chez un neurologue le vendredi 20 janvier. Celui-ci diagnostique une lésion au cerveau et décide de l’hospitaliser pour faire des examens complémentaires. Il lui explique qu’il faudra certainement une opération pour enlever cette tumeur dont on ne sait pas encore si elle est cancéreuse. Manque de place, l'hospitalisation ne peut avoir lieu que 5 jours après la consultation chez le neurologue. Ces jours d’attentes sont très longs pour lui et son entourage. Il ne peut presque plus se déplacer. Papa se documente sur les tumeurs cérébrales sur Internet et comprend très vite la gravité de la situation. A sa famille et ses amis, il ne cache rien des risques mais reste très positif. Fidèle à lui-même, il conserve un esprit cartésien et une grande dignité. Maman, mon frère et moi avons très peur. Commence alors des coups de téléphone entre nous tous pour se tenir au courant en permanence de l’évolution si rapide de cette lésion. Notre vie, jusqu’à présent tranquille, devient un cauchemar pour nous tous. Mon mari, ma belle-sœur, mes filles de 9 et 10 ans, ma nièce de 2 ans et demi, ses amis, ses cousins, sa sœur, ses beaux-frères belles sœurs,… sommes très touchés par cette nouvelle et nous l'entourons au maximum de notre présence. Personne ne peut croire que Gérard, cet homme si costaud, qui a construit sa maison tout seul, qui a toujours été un père protecteur, un mari attentionné, soit touché par cette maladie. Le mercredi 25 janvier, je l’accompagne à la clinique avec ma mère. Il doit monter à pieds jusqu’à sa chambre. Personne ne lui propose un fauteuil roulant. Je le soutiens mais j’ai peur. Quand un personnel infirmier vient le chercher pour un examen, j’exige alors un fauteuil. Il est soulagé. Mais ses efforts ont tellement été importants qu’il fait sa première et violente crise d’épilepsie en revenant à sa chambre. Les infirmières parviennent à le calmer. A ma demande insistante, le médecin le place en soins intensifs pour la nuit. Pour la première fois, nous avons pensé qu’il allait mourir. Ce soir, avec maman, nous le quittons avec la crainte de ne plus le voir vivant. Le cauchemar continue. Les jours suivants, papa effectue tout une série d’examens (radio, échographie, scanner, prise de sang,…) qui confirme une tumeur de 2,5 cm au cerveau. Maman, mon frère et moi sommes toujours auprès de lui. Nous discutons beaucoup, restons positifs. La nuit, quand il est seul, il nous écrit. Ses lettres sont lucides mais il est confiant. Il nous dit sa volonté de vivre et son désir de se battre. Il établit le dialogue avec les équipes médicales qu’il rencontre, pose des questions très pertinentes et exige des médecins des réponses concrètes. Il veut tout savoir, même le négatif. Il est toujours très courtois avec le personnel infirmier, ne se plaint jamais et garde son humour. Le 8 février 2006, papa est opéré au CHU de Montpellier par le Docteur Luc BAUCHET. Le soir de l’opération, un interne m’annonce froidement, dans le couloir, que la tumeur est maligne et que la durée de vie de papa ne peut excéder 3 mois. Je tremble, ma tête me tourne… ma vue vacille et puis, je me ressaisie. Je cherche du réconfort auprès de ma tante et de mon mari au téléphone puis, enfin, je rejoins ma mère dans la salle d’attente, qui, heureusement, n’a pas entendue ma conversation avec l’interne. Le docteur BAUCHET vient à son tour nous parler. Sa voix est douce. Il nous dit que c’est grave mais nous parle de traitement, de chimiothérapie et nous autorise à voir mon père. Maman ne comprend pas que papa va bientôt nous quitter. Quelques jours plus tard, l’analyse histologique de la tumeur révèle un glioblastome grade IV. La première nuit après l’opération se passe très bien. Il parle, nous reconnaît et est très lucide. Nous sommes presque « heureux » dans cette chambre de soins intensifs. Mais le lendemain, papa passe un scanner de contrôle et dès la fin de celui-ci, il fait un Angor (angine de poitrine) et doit être transféré en soins intensifs de Cardiologie. Nous ne saurons jamais ce qu’il s’est passé exactement puisque papa nous dit qu’il a demandé l’arrêt du scanner quand il a senti un liquide congelé dans son corps et que personne ne l’a écouté. Tout au long de son combat, papa me parlera de cet incident comme d’une véritable erreur médicale. Le 15 février, papa a 62 ans. Mélanie et Laetitia, ses petites-filles lui font un gâteau au chocolat qu’elles portent à l’hôpital. Il est très fatigué ce jour-là mais fait un effort surhumain pour les accueillir. Papa passe 10 jours hospitalisé en Cardiologie avant de retourner en neurologie. Il est épuisé, ne peut pas marcher mais garde toujours confiance. Il rentre à la maison le 22 février en fauteuil roulant. Le dimanche 26 février, il fait un nouveau problème cardiaque. Ma mère appelle le SAMU qui le ramène en Cardiologie où il va faire une coronographie qui se passe bien. Maman et moi restons auprès de lui en permanence. Mon frère, qui habite à 100 km est là tous les week-ends. Il prend le maximum de congés pour être auprès de papa également en semaine. Le 2 mars, papa est de retour à la maison. Il ne peut pas dormir dans sa chambre qui se trouve à l’étage. Nous l’installons au rez-de chaussé, dans son bureau. Chaque jour, de nouvelles difficultés motrices le détruisent mentalement. Il exprime pourtant son désir profond de vivre, même avec des séquelles physiques. Il souhaite juste maintenir un minimum d’autonomie pour ne pas gêner son entourage. Ses journées sont rythmées par les visites des infirmiers, des kinés et des rendez-vous médicaux à l’extérieur. La liste des cachets qu’il prend est incroyable : 15 à 20 différents par jour. La prise de ces médicaments devient un cauchemar. Je l’accompagne à toutes ses visites chez le cancérologue ou le neurologue. Ses déplacements se font en VSL et très rapidement en ambulance car il ne peut plus du tout marcher. Chaque jour, il perd un peu plus d'autonomie. Passionné de football, il ne parvient plus à regarder un match à la télévision. Au fil des jours, notre sujet de discussion est souvent son éventuelle mort. Je lui donne alors le surnom de "Papounet". Le soir, quand je m'en vais, nous nous disons "A dis Tchao", qui veut dire "au revoir" en patois. Ces petits mots nous aident à parler de la terrible réalité et nous préparent doucement à un adieu. Nous parvenons quand même à maintenir un certain humour entre nous. Ma mère s’occupe de lui 24 h sur 24 h. Elle aura 60 ans en mai. Avant le début de sa maladie, papa lui avait prévu une surprise avec tous ces amis pour le 13 mai. Il espère être encore en vie à cette date là Papa supporte très mal cette dépendance et nous en fait souvent part. Il dit que ce n'est pas notre rôle de l'habiller, de l'aider à manger, de le soulever, etc… Il dit qu'il est trop jeune pour "vivre dans cet état". Papa est très lucide et commence à préparer son départ. Il nous dit tout ce que l’on doit savoir s’il décède : ses contrats, son compte en banque, le fonctionnement de toutes les choses de la maison, etc… Il nous dit qu’il nous aime, qu’il veut être là pour l’anniversaire de maman. Il aime parler de nos souvenirs d’enfance. Quand à Maman, malgré nos discussions, elle refuse de voir la réalité et n’accepte pas l’échéance de la mort. Elle veut le garder toujours, le soigner, s’en occuper, l’aimer. Elle est pleine d’amour à son égard. Mon frère et moi sommes très inquiets pour nos deux parents et de plus en plus malheureux. Chaque fois que nous le pouvons, nous nous retrouvons chez mes parents avec les conjoints et les enfants et nous partageons des repas que nous voulons de fête. Le champagne est souvent présent. Papa a de plus en plus de mal à manger et discuter, mais nous savourons ces instants de bonheur avec une grande intensité. Certains jours, il est trop fatigué pour se mettre sur le fauteuil et nous mangeons dans son champ de vision afin qu’il puisse admirer ses petites-filles qu’il a toujours chéries. Comme chaque année, il devait les emmener au ski en février et à la mer en juillet. L’un de nous est toujours auprès de lui. Très souvent, il pleure en nous serrant contre lui. Nous demandons un lit médicalisé pour éviter les escarres et que son confort soit meilleur. Il ne peut pas s’habiller seul, ni se lever. Il est complètement alité. Il dort de plus en plus. Le 19 mars, nous transformons le salon en chambre pour qu’il soit mieux. La vue sur le jardin est plus agréable, l’espace est plus grand. Les deux infirmiers qui s’occupent de lui, un homme et une femme, sont très compétents sur le plan médical et humain. Papa se sent bien avec eux et une relation particulière s’installe avec notre famille. Ils font désormais parti de notre quotidien et savent nous parler et nous écouter. Le 30 mars, il commence la radiothérapie et le Témodal ( 140 g) pour 30 séances. Il dort de plus en plus. Sa voix se fait de plus en plus douce, ses gestes de plus en plus faibles. Il perd la notion du temps. Début avril, il ne peut plus tenir le stylo pour écrire. C’est un gros handicap pour lui car il tient un cahier dans lequel il écrit de nombreuses réflexions sur la vie et tient ses rendez-vous médicaux. Je lui offre un dictaphone mais très vite, il n’est plus assez adroit pour appuyer sur les touches. Il nous remercie souvent de ce que l’on fait pour lui. Il veut qu’on continue notre vie, que l’on soit heureux, que l'on retourne à notre travail, à notre maison. Mais l’amour est trop fort, et rien ne peut nous éloigner de lui. Nous restons à son chevet. Il est fier de la famille qu'il a fondé. A partir de ce moment, sa souffrance morale est visible mais il lutte toujours et continue son combat. Ses amis aussi sont présents par leurs lettres et leurs coups de téléphone. Quelques privilégiés viennent lui rendre visite. Mais parfois, sa fatigue étant trop importante, je limite les visites à quelques minutes seulement. Nous lui installons un harnais car nous n’arrivons plus à le soulever. Le harnais est un appareil électrique très volumineux qui nous permet de déplacer papa du lit à son fauteuil roulant et vice versa. Papa déteste ces moments car sa dépendance est alors trop visible. Il souffre beaucoup de cette situation et me dit que cela ne peut plus durer. Maman a enfin compris que papa allait nous quitter. Elle ne le quitte jamais et dort même avec lui toutes les nuits. Ils sont beaux tous les deux. Mi-avril, papa sait que sa mort est lente et qu’il n’y a pas d’issue. Il me le dit et nous en parlons souvent ensemble. Il est serein et ne se plaint jamais. Il me demande d’acheter un cadeau pour l’anniversaire de maman et de lui offrir le jour de son anniversaire quand il ne sera plus là. Je choisis des boucles d’oreilles que je lui montre. Il est ravi et pense qu’elle sera heureuse de les porter. Il les trouve magnifiques. Il téléphone lui-même une dernière fois à quelques personnes proches pour leur dire au revoir et montrer son amitié. Sa volonté de bien-faire est extraordinaire. J’admire sa force, son courage et sa dignité. Il me demande d’organiser sa cérémonie funèbre. Il ne veut pas de cérémonie religieuse et veut être incinéré. Il demande à mon frère de lui faire un CD avec les chansons qu’il a envie qu’on écoute ce jour là. Quand je lui montre le CD, il me dit qu’il serait heureux s’il entendait ces musiques à un enterrement. Je lui dis qu’il est incroyable de parler aussi crument et nous pleurons l’un contre l’autre un moment. Je trouve dans son cahier une lettre datée de fin janvier, dans laquelle il dit au revoir à ces proches. Le 19 avril, il demande à son généraliste un cachet pour mourir. Le médecin tente de lui redonner confiance. Papa insiste plusieurs fois auprès de moi pour l’aider à partir. Nous discutons longuement avec ma mère et mon frère et nous nous mettons d’accord. Papa est toujours très lucide et nous ne pouvons fermer les yeux devant cette souffrance. Fin avril, je rencontre son cancérologue et lui demande d’arrêter le traitement. Nous ne voulons pas d’acharnement thérapeutique. Son cancérologue freine les cachets mais me demande de continuer la radiothérapie. Papa ne mange presque plus et n’arrive plus à prendre ses cachets. Un soir, il me demande de les jeter. Il dort de plus en plus et rentre progressivement dans un semi-coma. Nous commençons à souhaiter son départ. Il faut encore attendre. Son corps est très solide et il résiste. Les minutes sont des heures et les heures sont des jours. Son souffle est de plus en plus faible. Le 9 mai au soir, mon frère et moi dormons chez mes parents. Je m’allonge même dans le salon, à côté de mon père et ma mère. Toute la nuit, je guette le souffle de mon père. Ce sera sa dernière nuit. Le lendemain, le 10 mai 2006, à 13 h, papa nous quitte. Maman, mon frère et moi sommes à côté de lui. Nous lui disons des mots d’amour, nous lui disons au revoir, nous le caressons et le laissons fermer les yeux pour toujours. Papa est à jamais dans nos cœurs. Nos repères familiaux se sont envolés. Rire n'est plus naturel et seul le temps pourra apaiser notre douleur. Papa Trésor, Papa d’Enfer, Papa Footballeur, Papa Bricoleur, Papa Brasucade, Papa Garde d’enfants, Papa Champagne, Papa Amour Comme tu le dis si bien, A dis Tchaos (au revoir)…. Papa chéri. Papa, je te dédicace la dernière chanson que je t’ai fait découvrir la veille de ton opération : « Le Plus fort c’est mon père » de Lynda LEMAY.
Ta fille Nat

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